ISSN: 1983-6007 N° da Revista: 15 Setembro à Dezembro de 2011
 
   
 
   
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  Le Samba, une forme d'art et de traitement (du malaise) dans la culture brésilienne

Samba, a Form of Art and of Treatment (of Discontents) in Brazilian Culture
 
     
 

Cristiano de Oliveira Ventura
DEA en psychologie à l'Université Catholique de Louvain en 1997
Membre de l'Association de la cause freudienne en Belgique
Psychologue clinicien au Foyer de l'Équipe
E-mail: venturasamba@gmail.com

Résumé: Cet article est issu de la thèse doctorale - Maître Cartola : le Samba comme
subversion de l'esclave. Approches historique, esthétique et psychanalytique -, qui sera
soutenue en septembre 2012, à l'Université Catholique de Louvain. Ici, je propose de
montrer que le Samba a été à la fois réponse à la grâce chrétienne rapportée par les
colonisateurs, trait d'esprit (Witz) de l'esclave brésilien et évocation de l'amour comme
signification vide chez le parolier du Samba Angenor de Oliveira dit Cartola.

Abstract: This article stems from a Ph. D. thesis — Master Cartola: Samba as a
Subversion of the Slave. Historical, Aesthetic and Psychoanalytical Approach — to be
defended at the Catholic University of Louvain in September 2012. I propose to show
here that in the work of Samba writer Angenor de Oliveira, known as Cartola, Samba
was at the same time a response to the Christian grace brought by the colonisers, a flash
of wit (Witz) on the part of the Brazilian slave and an evocation of love as empty
signification.
 
 


I – Introduction

En 1928, lorsque le terme Samba1 émerge dans la culture brésilienne comme écriture poétique, il véhicule une notion qui recoupe étonnement ce que Lacan (1977) dit de l'amour comme signification vide. Cet article se propose de montrer que le Samba a été à la fois réponse à la grâce chrétienne rapportée par les colonisateurs, trait d'esprit (Witz) de l'esclave brésilien et évocation de l'amour comme signification vide chez le parolier du Samba Angenor de Oliveira, dit Cartola2 (1908-1980). À certains égards, la présence des indications de la Chose dans l'oeuvre de Cartola se trouve étroitement liée au pur néant (le dreit nien)3 des troubadours. Cartola se met au service de la cause du désir sous le nom de la Dona (la Dame, en occitan), en s'appuyant sur la tradition courtoise à partir de la tradition orale brésilienne. En fait, l'oeuvre poétique de Cartola intègre par la tradition orale brésilienne des notions de la poésie occitane et de la poésie galaïco-portugaise. Dans ce cas, Senhora correspond à ce que l'amour courtois recouvre comme étant la Dona (Dame).

Pour LACAN (1959-1960) la fonction princeps des troubadours est d'établir un point privilégié où la femme aimée est mise à la place de la Chose. Cette articulation entre la Chose, la femme et l'art commence en effet dans son Séminaire L'éthique de la psychanalyse. Dans le Séminaire Les non-dupes errent (1973-1974) l'amour courtois y est une forme de suppléance de l'absence de représentation du savoir sur la mort et le sexe : « […] j'ai fait état de l'amour, de l'amour courtois dans ce qu'il imagine de la jouissance et de la mort […] ». Il s'agit dans Encore (1972-1973/1975) « […] une façon tout à fait raffinée de suppléer à l'absence de rapport sexuel, en feignant que c'est nous qui y mettons obstacle. […] » Par la suite, LACAN (1976-1977) fera basculer l'amour du côté de la jouissance : « […] parler d'amour est en soi une jouissance. » Nous pouvons notamment déduire cela de ce que Lacan dit de la fonction de l'amour courtois,
à la fin de son enseignement, dans son Séminaire L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à
mourre ; l'amour y est un des noms explicites du réel.

La relation de l'amour et du réel — dont la Chose est un des noms — fut mise en évidence à certains moments de l'enseignement de LACAN (1959-1960), notamment par la poésie des troubadours. « Comment le poète peut-il réaliser ce tour de force de faire qu'un sens soit absent ? », demande LACAN (1976-1977) dans les dernières séances du Séminaire XXIV : « C'est, bien entendu, en le remplaçant, ce sens absent, par ce que j'ai appelé la signification. La signification n'est pas du tout ce qu'un vain peuple croit, si je puis dire. La signification, c'est un mot vide, autrement dit : c'est ce qui, à propos de Dante, s'exprime dans le qualificatif mis sur sa poésie, à savoir qu'elle soit amoureuse. L'amour n'est rien qu'une signification, c'est-à-dire qu'il est vide ; et on voit bien la façon dont Dante l'incarne, cette signification. Le désir a un
sens, mais l'amour tel que j'en ai déjà fait état dans mon séminaire sur L'éthique, tel que l'amour courtois le supporte, ça n'est qu'une signification. »

Cette articulation faite par Lacan nous amène à concevoir l'amour chez Cartola comme signification vide, articulée au réel dont la Chose est un des noms. Cette même signification vide de l'amour trouve son ressort dans la signification de l'écriture poétique du Samba, ce qui implique que le Samba devienne un des noms du réel. Le signifiant Samba est l'outil qui permet la mise en place de ce rapport au réel de l'amour comme signification vide. En fait, ce qui n'est pas développé explicitement par Lacan, c'est la relation entre l'amour comme signification vide et le dreit nien (le pur néant) des troubadours4. Or, cette relation entre la Chose et le dreit nien est constituante d'un savoir. Le savoir du Samba semble plus précisément l'illustrer, lorsqu'il fait de la grâce chrétienne une représentation vide.

II - La grâce chrétienne.

Tout récement, DI CIACCIA (2011) nous rappelait l'importance de la grâceà l'égard de la position de l'analyste dans l'enseignement de LACAN (1973/2001) : « Le mot Grâce nous invite donc à préciser un passage où Lacan met en parallèle ce qui s'ensuit de la morale chrétienne, d'une part, et de l'éthique de la psychanalyse, d'autre part. En grec, en effet la Grâce (cariV)
a donné charité, ce qui n'est pas l'amour (agaph et erwV). Pour situer objectivement l'analyste, Lacan recourt à « ce qui dans le passé s'est appelé : être un saint ». Or, nous dit-il un saint [...] ne fait pas la charité. Plutôt se met-il à faire le déchet : il décharite. Ce pour réaliser ce que la structure impose, à savoir permettre au sujet, au sujet de l'inconscient, de le prendre pour cause de son désir. » Par ce détour inattendu, LACAN (1973/2001) éclaire la juste position de l'analyste, qui ne doit pas se prendre pour causa efficiens de l'opération analytique, laquelle reste toujours l'oeuvre du signifiant. » La fonction du signifiant Samba dans la culture brésilienne est de permettre à certains poètes, comme Cartola, de pouvoir par l'écriture du Samba séparer la grâce de l'amour.

La bulle papale Romanus pontifex du 8 janvier 1455 est capitale pour la
compréhension de la manière dont la grâce s'est inscrite comme loi biblique dans la
subjectivité de l'esclave brésilien, dans la mesure où elle permet au maître portugais de
réduire des peuples africains en esclavage. Avec la Romanus pontifex, la portée
universelle du christianisme est assurée. Sa stratégie politique pour rassembler les
jeunes états nations européens se fonde sur ce commandement biblique : «Tu aimeras
ton prochain comme toi-même.» Les Ibériques, séparés par des décennies de guerres,
deviennent ainsi porteurs de la bonne parole du Christ au-delà de leurs frontières, avec
pour mission de christianiser les peuples noirs, musulmans et ceux des terres inconnues.

Par cette bulle, le pape Nicolas V autorise en 1455 le roi Alfonso du Portugal —
avant même la découverte du Brésil par Pedro Alvares Cabral en 1500 — à convertir
tous les incroyants et les infidèles à l'amour du Christ. L'historien Carlos ZERON
(2009) analyse la présence de la Compagnie de Jésus dans l'Amérique portugaise dans
son appui sur la Romanus pontifex. C'est elle qui autorise les Ibériques à « […] envahir,
conquérir, combattre, vaincre, et soumettre […] les sarrasins, païens et autres ennemis
du Christ […] et de réduire [les populations habitant les terres découvertes le long de la
route maritime menant aux Indes] en esclavage perpétuel […]. » En filigrane de cette
mission pastorale de la Romanus pontifex, on trouve la justification de la traite au sens
large du terme, à savoir : le démarrage du commerce des marchandises, où l'esclave
africain est considéré comme une marchandise parmi d'autres.

En fait, le maître s'appuie sur cette forme d'amour – l'amour universel du Christ
– pour baptiser les Africains réduits en esclavage ; il s'agit ainsi d'inscrire la grâce dans
la subjectivité de l'esclave. Dès lors, la grâce sera un objet d'échange entre le maître et
l'esclave brésilien, le prochain (Nebenmensch), tel que FREUD (1929) le définit dans
Le malaise de la culture : « […] En conséquence de quoi, le prochain n'est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d'exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ce qu'il possède, de l'humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus 5; qui donc, d'après toutes les expériences de la vie et de l'histoire, a le courage de contester cette maxime ? 1 […] » Et LACAN (1960/2005) de préciser : « [...] Freud a raison de s'arrêter là, interloqué de son invocation, parce que l'expérience montre — et l'analyse articule comme un moment décisif de sa découverte — l'ambivalence par quoi la haine suit comme son ombre tout amour pour ce prochain qui est aussi de nous ce qui est le plus étranger. [...] » Inscrire l'amour universel du Christ chez les Africains pour les réduire en esclavage a comme conséquence de les baptiser et d'autoriser à les mettre sous la tutelle, en tant qu'esclaves, de leurs maîtres chrétiens.

S'agissant de l'esclave brésilien, la place qui lui fut octroyée par le maître portugais fut celle du bétail6 Considéré comme un animal, l'esclave brésilien doit, en tant qu'objet, travailler afin de produire une plus-value pour le maître. Selon nous, ce statut d'objet attribué à l'esclave brésilien pendant la période de l'esclavage se décline en objet marchandise et objet sadien. D'une part, son corps est assujetti aux normes d'échange et d'usage visant toujours la production d'une plus-value ; d'autre part, le statut de marchandise donné par le maître négrier au corps de l'esclave, en particulier celui de la femme, subit un virage drastique en lui conférant le statut d'objet sadien. Nous en voulons pour preuve les témoignages donnés à la Sainte Inquisition par le maître, où le corps de l'esclave brésilien n'est qu'un objet de sa jouissance sadienne7 : le corps d'une femme esclave est découpé en petits morceaux et servi à table8.
En ce qui concerne la subjectivité de l'esclave brésilien, celui-ci aura ainsi affaire à la loi de l'amour universel, qui jusqu'ici le prend comme esclave. La loi de l'amour fonde ainsi la jouissance du maître prélevée sur l'esclave9. Alain BADIOU (1998) analyse l'entrelacement entre la loi, et l'amour qui a débuté avec l'universalisme prôné par saint Paul. Nous pouvons déduire que le prochain chrétien incarne dès lors la loi qui se traduira dans le mode de jouir et dans l'amour de l'Africain lorsqu'il devient l'esclave brésilien.

Il faudra à peu près trois cents ans pour que l'esclave se démarque de cet Autre
universel. Pour ce faire, il invoquera les divinités africaines dans le rituel du candomblé.

III – Les disgraciés

Dans son Séminaire La logique du fantasme, LACAN (1966-19967) nous indique la nécessité de se séparer d'une loi universelle. Dans cette perspective le travail de l'esclave du Samba devra traiter, en s'en dépêtrant, la grâce comme loi universelle; il le fera à partir de l'évocation des divinités afro-brésiliennes. Dans le syncrétisme entre les cultes afro-brésiliens – dont le candomblé fait partie – et la religion catholique, nous constatons qu'un Autre africain cohabite avec la grâce (Autre chrétien), dès l'autorisation du batuque en 1810 par le Vice–roi du Brésil,

Dom Marcos José de Noronha e Brito. À certains égards, en autorisant le batuque – l'écriture musicale des percussions –, le comte de Arcos permit l'émergence des religions afro-brésiliennes, dont le candomblé avec ses dieux africains, les orixás. Arcos se réfère à l'esclave
brésilien du batuque comme étant un disgracié2. Cet désignation de celui qui est privé de la grâce n'est pas anodine. Car il faut savoir que les Noirs furent exclus du systéme d'éducation dont les Jésuites avaient le monopole. De même, de la méthode de la cathéchèse qui n'alphabétisait que les autochtones en latin de surcroit. En ce qui concerne l'esclave, il a dû s'arranger avec la faille du maître. Certains répères de la litttérature des troubadours galaïco-portugais ont été intègrés par l'esclave brésilien parmi lequels cette fonction poétique de la

Dona comme senhal (seigneur Amour). La Dame sera au commandement de l'écriture poétique du Samba lorsqu'elle rejoindra l'écriture musicale de tambours du candomblé. Repéré par les historiens depuis 1790, ce jeu codé des tambours résonna depuis les Senzalas (habitations collectives d'esclaves) du Brésil esclavagiste jusqu'à l'émergence du Samba, à Rio de Janeiro au
XXème siècle. La question est de savoir comment peut-on passer de la tradition orale à
l'écriture poétique. Ce passage à l'écriture commence avec l'appel lancé par l'esclave brésilien lorsqu'il transforme la grâce en manque et en privation.

IV - Le Samba naît d'un trait d'esprit (Witz).

Dans l'émergence de l'écriture musicale du Samba, auquel Ismael Silva a donné ses lettres de noblesse, on trouve cette onomatopée : bumbumpaticumbumprugurundum10. À l'aide de sa lalangue, le parolier Ismael Silva écrit la partition des percussions. Éclairé par LACAN (1972/2001)11, il nous a fallu essayer de parler la langue des Nourrices noires, les Amas de Leite, pour saisir et isoler un signifiant particulier : bumbum (les fesses). Avec celui-ci, l'esclave brésilien nomma, dans le corps d'une femme, l'obscénité dont l'ensemble des femmes – noires, mulâtres, tupies et blanches – furent l'objet. L'équivoque du trait d'esprit naquit du fait que le reste métonymique « bum » rencontra les deux autres signifiants nécessaires au
symptôme de l'esclave brésilien — batuque (jeu codé des tambours) et tambor (tambour) —, lors des cérémonies du candomblé12.

Ce que FREUD (1905c/1990) appelle associations superficielles entre les représentations d'un trait d'esprit (Witz) se trouve chez LACAN (1966-1967) articulé comme étant la lettre13. C'est donc par la porte du trait d'esprit que l'esclave brésilien s'octroya la possibilité d'avoir un désir. Nous supposons ainsi que l'objet féminin inaccessible se trouve à l'origine de l'objet cause du désir de l'esclave brésilien. Cet objet se déplace de façon métonymique pour former la trace de son symptôme d'esclave. Nous partons du principe que l'esclave brésilien, lorsqu'il appelle l'Autre – les orixás, les divinités africaines – en lançant bumbum, va produire une trouée dans la grâce comme loi universelle. La grâce chrétienne devient une représentation (Vorstellung) parmi une multiplicité de représentations africaines. En évoquant la divinité africaine, l'esclave brésilien accède à l'événement de satisfaction 14 (Das Befriedigungserlenis) ; le sujet instaure alors un rapport privilégié avec das Ding (la Chose) et avec l'Autre (les orixás). La grâce devient ainsi un phénomène quelconque au regard de l'expérience de joie de chaque sujet. Car la représentation d'une divinité du candomblé est toujours liée à l'image de Notre Dame.
Ceci dit, l'appel à l'Autre (orixás) instaure un manque chez l'esclave soumis au rituel du candomblé. Il déloge ainsi la grâce de cette place d'Autre absolu, corrélé à l'amour du prochain. La grâce en tant que représentation s'inscrit désormais comme manque et privation.

V - Le Samba comme signification vide.

Nous devons remarquer qu'au Brésil, Samba est toujours un substantif masculin. C'est Ismael Silva (1905-1975), parolier du quartier du Estácio de Sá à Rio, membre de l'ensemble musical Deixa Falar (littéralement : laisse parler), qui a nommé le Samba. Comment se fait-il que de la Samba, prêtresse du candomblé, nous sommes passés au registre poétique musical du Samba?

Avec LACAN (1966-1967) relisant FREUD (1925h/1992), nous pouvons parler de Verneinung lorsque le sujet mâle dénie, en forme de substitution, une représentation (Vorstellung) dans le corps d'une femme. Face à l'absence d'organe pénien chez la femme, le sujet dénie sous forme de substitution signifiante ce qu'il éprouve comme angoisse. Le sujet dénie la représentation de l'image dans le corps de l'autre. Avec Pierre Skriabine (2009) nous pouvons dire ceci: « Le Nom-du-Père réalise ainsi, en tant que Bejahung (dire-que-oui) de la réalité de la castration, l'accès de l'être parlantà l'univers des discours et à la protection contre le réel qui permet l'instauration du lien social. » Dans son Séminaire La logique du fantasme, LACAN (1966-1967) articule que le sujet mâle dénie les effets les plus incommodes, les plus déprimants, du manque dans l'amour. Or, le statut d'objet sadien du corps de l'esclave produit ce bum comme reste, comme déchet du réel dans le symbolique. Nous émettons l'hypothèse que c'est sous les espèces du corps cadavérisé d'une femme – le réel de la mort – que l'esclave brésilien nomma par bumbum, une notion polysémique qui désigne à la fois les fesses, l'enfant, la femme, qui est au coeur de l'écriture musicale du Samba.

Nous pouvons supposer que le sujet mâle, descendant de l'esclave brésilien, dénie l'absence de représentation prédicative dans le corps d'une femme, à savoir : le sexe. Dans l'Abrégé de psychanalyse, FREUD (1938) parle du déni comme défense contre la perception d'une image, par laquelle le sujet rejette ce qui dans cette image du corps de l'autre est angoissante. Ce qui se trouve alors refoulé comme image dans le corps de l'autre fait désormais retour par la voix du prochain. Il faut absolument que l'image soit refoulée chez le sujet et lui revienne du dehors, de l'Autre. En fait, le sujet vise l'objet de son désir dans le corps de l'autre (la Samba). La prêtresse Samba fait également fonction d'un Autre, car la Samba porte en elle le savoir des ancêtres. C'est donc dans le corps d'une femme que le sujet mâle rencontre l'objet de son désir. Dans la perspective freudienne de Trois essais sur la théorie sexuelle, le désir sexuel
polymorphe du mâle ne peut se manifester que par l'ambiguïté d'un déni portant sur cet
objet-personne qu'est la Samba.

Dans son acte de fondation de la première école de Samba au Brésil, Ismael Silva s'appuie sur la prêtesse Samba dans sa fonction de Vorstellung, portant – en elle en tant que Vorstellungsrepräsentanz – le savoir des Inquices, des ancêtres. Par cette opération, Ismael Silva va fonder un nouveau discours poétique, le Samba. La représentation (Vorstellung) des orixás est accompagnée des statuettes, représentants des orixás. Ismael Silva vise la fonction savoir dans le corps de la prêtresse Samba. Il s'agit de s'approprier des représentants de ce savoir féminin, plus précisément d'inscrire un signifiant de l'exception, le Samba.

Pour faire de la musique, Ismael Silva et ses compagnons se donnaient rendezvous entre les entrepôts et les bistrots du quartier de l'Estácio de Sá, appelé Balança (Bascule). C'est aussi au carrefour de la dite Bascule que se trouvait l'école normale de l'Estácio de Sá. Cette école normale servait à former essentiellement des jeunes filles pour la fonction publique de professeur d'école primaire. La langue portugaise accepte volontiers la féminisation du mot professeur, professoras. Pourtant, le mot d'ordre de l'Estácio se trouve déjà au masculin « former des professores » comme si la masculinisation permettait de dénier le manque féminin, alors qu'il s'approprie du savoir féminin. Le savoir de la prêtresse Samba devient une signification d'exception– le Samba – lorsqu'Ismael Silva pose l'acte inaugural. À ce moment, les représentants du savoir des ancêtres et ceux de l'école normale vont s'unir sous un même signe, celui de l'école.

À sa manière en quelque sorte freudienne3, Ismael Silva décompose le signifiant bumbum, censé avoir son origine dans la langue parlée par les Amas de Leite, et le réduit à une onomatopée. Notre hypothèse est que l'amour, qui fut réprimé dans le réel « bumbum », revient dans le symbolique « bum ». Ismael Silva va saisir ce qui fait trait d'identification (le savoir) dans la personne-objet, la prêtesse Samba (bumbum) et l'associe aux professoras (bumbum) de l'école normale. L'ambiguïté porte sur le fait que la prêtresse Samba se trouve alors réduite à un objet vidé de sa substance4; il ne s'agit plus d'une femme, elle doit devenir un objet vide. En même temps, il s'agit d'un acte d'amour, pour reprendre ce que dit LACAN (1972-1973) « C'est là l'acte d'amour.

Faire l'amour, comme le nom l'indique, c'est de la poésie. » C'est sur la faille, le manque d'un signifiant pour pouvoir désigner et nommer ce qu'est une femme, qu'Isamel Silva fonde une autre forme de savoir sur l'amour, le Samba. Si Ismael Silva fonde la première école de Samba au Brésil, Cartola, quant à lui, bâtit une oeuvre où l'amour est signification vide lorsqu'il vise l'impossibilité de nommer « ce qui est » une femme. Son écriture poétique articule à la Dona la tradition de l'amour courtois. Cette opération lui permet de fonder une école de Samba. Par le
travail de la lettre, il se met au service de la cause de son désir sous le nom de la Dona. Dans la chanson Autonomia (Autonomie15), le but du discours poétique est de faire croire que le désir du poète est commandé par la Dona. Il s'agit de produire une écriture subversive et inversée, selon le modèle de la tradition courtoise : le poète fait croire que c'est la Dona (Seigneur Amour) qui parle.

É impossível
nesta primavera eu sei
Impossivél pois longe estarei
Mas pensando em
Nosso amor
Amor sincero
ai.....
se eu tivesse autonomia
se eu pudesse gritaria
Não vou
Não quero
escravizaram
assim um pobre
coração
e necessaria a
nova abolição
pra trazer de volta a minha liberdade
se eu pudesse brigaria amor
se eu pudesse gritaria amor
Não vou
Não quero....
Impossible
Ce printemps je le sais
Impossible car loin je serai
Mais pensant à toi
Mon amour
Amour sincère
Aie........
Si autonome j'étais
Si je pouvais je crierais
Mais je ne le ferai
Ni ne le veux
Ainsi fut réduit en
esclavage un
pauvre coeur
Une nouvelle
Abolition s'impose
Pour me rendre la liberté
Si je pouvais je me battrais, mon amour
Si je pouvais je crierais, mon amour
Mais je ne le ferai
Ni ne le veux...

1 En Brésilien, on dit « le samba », terme qui implique danse, musique et chanson. À notre connaissance, Étienne Bours dans son dictionnaire thématique des Musiques du monde est un des rares auteurs francophones à l'utiliser tel que nous le faisons dans les pays lusophones. Voir : BOURS (2002) Dictionnaire thématiques des Musiques du Monde, Paris : Fayard

2 Le pseudonyme Cartola signifie Chapeau haut.

3 Depuis que Jacques Lacan s'est intéressé à la poésie des troubadours dans son Séminaire L'éthique de la psychanalyse, les références sur ce sujet, en particulier sur le dreit nien, demeurent relativement vagues. Le point de départ réside dans la manière dont Guilhaume d'Aquitaine a pu manier l'écriture juive à partir du verbe hébraïque barah, strictement réservé à Dieu et dont le livre des Macchabées (1 :10-15) explicite le sens en disant que Dieu « a tout fait de rien ». Ceci nous oblige à remonter à la Genèse (I :1-2), lorsqu'elle annonce ceci : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était tohu et bohu, les ténèbres couvraient la surface de l'abîme. » En hébreu, un tohu-bohu signifie « un désert et un vide ».
Guilhaume d'Aquitaine subvertit dès lors le sens initial de cette production ex nihilo, comme telle réservée à Dieu, pour la faire équivaloir avec l'amour et la femme. Voir: ROUBAUD (1986/2009) La fleur inverse – L'art des troubadours –, collection architecture du verbe, Paris : Les belles lettres. DE RIQUER, M. (1975/2001) Los trovadores – Historia literaria y textos – 3 Tome, cuarta edictión, Barcelona : Ariel.

4 Guilhaume IX d'Aquitaine (1071-1126) écrira ceci : « […] Farai un vers de dreit nien Je ferai un poème du pur néant […]. Voir :DE RIQUER (1975/2001) Los trovadores – Historia literaria y textos– Tome 1, Op. Cit. p. 113.

5 L'homme est un loup pour l'homme. PLAUTE, Asinaria (La comédie des ânes), II, 4, 88 : « Lupus est homo homini, non homo… »

6 L'esclave brésilien fut classé comme un animal par les maîtres ibériques en 1603. Lorsqu'Alexandre Kojève l'introduit dans ses cours sur La phénoménologie de l'esprit, il part de ce principe hégélien que l'esclave est un animal pour qui la résolution du désir passe inévitablement par le désir de l'Autre. Voir : FREITAS (1980) Escravidão de Índios e Negros no Brasil, Porto Alegre : EST, ICP, pp. 25-29. KOJEVE (1947/1994), Introduction à la lecture de Hegel, Paris : Gallimard, (Tel), p. 169.

7 Confissões da Bahia : santo ofício da inquisição de Lisboa, organização Ronaldo Vainfas, São Paulo, Companhia das Letras, 2005.

8 CHIAVENATO (1980) O Negro no Brasil – Da Senzala à Guerra do Paraguai –, São Paulo :
Brasiliense Editora.

9 Badiou nous aide à faire le rapprochement entre La bulle Romanus pontifex et la mission de saint Paul lorsque celui-ci est investi de la mission suivante : que l'amour à Jésus Christ soit la loi universelle pour tous. D'après Badiou, la loi chez cet Apôtre se condense de façon métonymique dans deux énoncés principaux : « Ce qui nous sauve est la foi, et non les oeuvres » et « Nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce ». Pour Badiou, saint Paul fait cette connexion entre le sujet et la loi lorsqu'il initie dans l'histoire une prédication universelle : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, puisque tous sont un dans Jésus Christ » (Galates 3, 28). Ce qui
ressort du compromis entre le sujet et la loi, c'est l'amour en Jésus Christ comme puissance universelle. Voir: BADIOU (1998) Saint Paul – La fondation de l'universalisme –, Collection Les Essais du Collège International de Philosophie, Paris : PUF.

10 À partir de cette écriture musicale, appelée depuis Le paradigme de l'Estácio, le musicologue Carlos Sandroni a soutenu une thèse doctorale à l'Université François Rabelais de Tours en 1997. SANDRONI, C. (2001) Feitiço Decente transformações do samba no Rio de Janeiro (1917-1933), Rio de Janeiro : Jorge Zahar Editor/Editora UFRJ.

11 Dans L'étourdit, ce concept de lalangue se trouve défini ainsi : « […] Ce dire ne procède que du fait que l'inconscient, d'être « structuré comme un langage » c'est-à-dire lalangue , qu'il habite, est assujettià l'équivoque dont chacun se distingue. Une langue entre autre n'est rien plus que l'intégralité des équivoques que son histoire y a laissées persister. […] »

12 L'équivoque réside dans le fait que le tambour fait « bum ! ».

13 LACAN (1966-1967) dans son Séminaire La logique du fantasme dit ceci « […] Voilà, exactement par quelle voie se porte l'effet de l'entrée de ce qui structure le discours au point le plus radical, qui est assurément — comme l'ai toujours dit et accentué, jusqu'à y employer les images les plus vulgaires — la lettre dont il s'agit, mais la lettre en tant qu'elle est exclue, qu'elle manque […] »

14 FREUD, L'Esquisse (1895/1976-1980), trad. Susanne Hommel, Palea/Les lettres de l'Ecole freudienne de Paris, Paris.

15 La traduction de ce Samba fut réalisée par Gasana Ndoba

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Referências Bibliográficas

BADIOU, A. (1998) Saint Paul – La fondation de l'universalisme –, Collection Les Essais du Collège International de Philosophie, Paris : PUF, 2° édition.

BOURS, É. (2002) Dictionnaire thématique des Musiques du Monde, Paris : Fayard.

DE RIQUER, M. (1975/2001) Los trovadores – Historia literaria y textos – 3 Tome, cuarta edictión, Barcelona : Ariel.

DI CIACCIA, A. (2011) « Lacan, Docteur de l'Église » in Lacan au miroir des sorcières, Paris : Navarin Éditeur. Confissões da Bahia : santo ofício da inquisição de Lisboa, organização Ronaldo Vainfas, São Paulo, Companhia das Letras, 2005.

CHIAVENATO, J. J. (1975) Genocídio américano : a Guerra do Paraguai, São Paulo : Brasiliense.
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___ Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient (1905c/1990), trad. Denis Messier, Paris : Gallimard.
___ Trois essaie sur la théorie sexuelle (1905d/1987), trad. Philippe Koeppel, Paris, Gallimard.
___ La négation (1925h/1992), OEuvres complètes, Tome XVII, Paris : P.U.F. pp. 166-171
___ Le malaise dans la culture (1929/1994), OEuvres complètes, Tome XVIII, Paris : P.U.F. pp. 247-333.
___ Abrégé de psychanalyse (1938/1975), trad. Anne Berman, Paris : P.U.F.

KOJEVE, A. (1947/1994) Introduction à la lecture de Hegel, Paris : Gallimard.

LACAN, J. Le Séminaire, Livre VII, L'éthique de la psychanalyse (1959-1960/1986), texte établi par Jacques- Alain Miller, Paris : Seuil.
____ Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme (1966-1967), Paris, séminaire inédit.
____ Le Séminaire, Livre XX, Encore (1972-1973/1975), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris : Seuil.

 
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